C’était la belle et savante Aurora, au port altier, à la peau blafarde comme la lumière du jour ; pensive comme une statue de marbre et lumineuse comme l’énergie d’une nova aux confins de la voie lactée.
Fille d’un maître en art martiaux au glaive de platine où se reflète la vérité de l’ennemi pourfendu impitoyablement ; elle avait inexorablement évoluée parmi les jeunes filles de sa condition et s’était révélée « reine » des savantes du temple. Le temple où elle avait vécu les seize années de sa vie recluse dans les sombres pensées de sa mélancolie viscérale, écho d’obscures forêts, elle n’avait côtoyé nul autre homme, qui aurait pu l’éveiller à une vie de découvertes innombrables, que son père qui l’envoya au temple. Ce lieu hiératique où une incontrôlable déchéance risquait de s’enclencher si l’on n‘y prenait garde. Un sursaut de vie était nécessaire à la survie de la belle érudite Aurora. Entre chien et loup, la jeune fille se promenait, flânait d’un pas chancelant mais conservant sa fière assurance, s’écartant furtivement du bataillon de jeune fille qu’elle laissa choir. Elle était d’une nature introspective, profondément plongée en elle-même et dont l’âme ployait sous un lourd fardeau de vie tourmentée. Une longue robe couleur de miel dansait sous les lents battements de ses jambes hésitantes et ses cheveux blonds, couleur de lune, descendaient en cascade le long de sa nuque vers ses épaules puis finalement au bord de ses hanches. Et c’était là sa vie calme, sans éclats, rêvant de batailles, de jouvencelles secrètes au regard des princes qui lui étaient proscrits par son père ; c’était là son passe-temps. Autour d’elle au printemps, de multiples essences florales exhalaient de capiteux parfums à son passage lent et décidé.
L’été, elle effleurait de ses doigts suaves les mufliers tendres et les aconites violacées, une perle de belladone courait sur ses lèvres sans jamais l’avaler, quoiqu’elle fût sans doute immunisée par le poison dont elle jouait avec une insolente immunité liée à des rites exorcisant le péril des fleurs. A chaque geste de la belle érudite, les sortilèges accablaient l’homme qui ne lui était pas digne. Chaque fleur effeuillée était un bien sombre présage renvoyé par le miroir sarcastique de son âme qui l’entraînait sur des contrées funestes où des damoiseaux et des jeunes filles l’appelaient au secours et qu’elle dédaignait de les sauver ne serait-ce qu’en levant le petit doigt ; la garde de son père les sauveraient aussitôt. Et la belle érudite Aurora sans regrets, sa virginité en bandoulière conservée pieusement était sa fierté et chaque prince prétendant à son amour en vue du mariage rêvé dans ses songes, se devait d’être exemplaire et là seulement elle se soumettrait, si elle abandonnait sa morgue et son orgueil.
Un prince lui ferait connaître les joies de l’amour s’il en était digne mais elle avait le fantôme en rêve d’une jeune savante encore en vie dans le cœur ; elle l’avait connue physiquement dans les dortoirs du temple et elle l’avait toujours caché à son père qui fut enragé s’il venait à apprendre cette liaison qui horrifierait sa mère garante de la bienséance de sa fille. Un soir, un brigand rongé par le sang de ses plaies fut recueilli par les templières, qui méfiantes, lui portèrent finalement assistance. Elles lui pourvoyèrent une carafe d’eau vers laquelle vacillant il se déplaça à grande peine pour étancher sa soif intarissable. Aurora excité par la découverte de ce brigand agonisant songea à ce pauvre hère sans doute blessé, harassé même dans une confrontation fortuite avec son père. Et il se retrouvait au temple échoué tel un dernier vaisseau sabordé par ses occupants de peur qu’il ne tomba dans les griffes du père d’Aurora. Juillet, les lys embaumaient le jardin immense et éclairé des plus belles fleurs du temple. Aurora s’avança et se mit lentement à effeuiller les fleurs. Mais voici que s’esclaffèrent des soupirs, des plaintes, les lys tombèrent en de fins pétales déchiquetés comme par enchantement, leur chair évoquait la complainte d’une demoiselle au cœur endolori par la perte de l’être aimé. Et quoique défaillante Aurora, dont les doigts s’affairent à défaire les fleurs, leurs pétales et étamines, s’aperçut que les lys renaissaient plus beau et plus fière encore par elle ne savait quel sortilège.
Aurora se mis à raser de ses mains sauvages le jardin, broyant tout devant elle quand elle s’aperçut d’une chose. Au cœur des fleurs disposées en amoncellement proéminent émergea le corps d’un homme frappé par la faux de la mort, gisant dans l’encens et la bienséance des fleurs. Et Aurora reconnu le brigand agonisant ; miraculeusement il ouvrit ses lèvres hésitantes et asséna un reproche à la belle savante :
— Pourquoi ce mépris de toi à mon égard, tu as déchiré mon corps aussi sûrement que ces fleurs !
On retrouva le lendemain Aurora étendue parmi les lys rougeoyant de la mort qui l’avait frappée ; elle gisait parmi ces lys, ces roses qui demeurèrent rouges durant les siècles qui s’écoulèrent. Ainsi en fut-il de la vie d’Aurora fauchée à l’instar des lys, mufliers, aconites qui avaient péri sous ses doigts dans un temple, théâtre de sa mort en un jardin d’été.
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