Je suis parti. Je suis en route. Ou plutôt le train est en marche. Où ça ? Je ne sais pas. J’ai vu un train et je suis monté. Je regarde mes voisins. Ils sont étranges. Les gens qu’on ne connaît pas sont toujours étranges. Sauf quand ils nous rappellent quelqu’un. Sauf que là je ne veux me souvenir de rien. De personne. Ne pas savoir où je vais. Avec qui. Comment.
En train, ça je le sais. C’est déjà trop.
Y a bien quelqu’un avec moi. Il me fallait quelqu’un. Mais quelqu’un c’est n’importe qui. N’importe qui puisse-t-il m’obliger à être vivant. Ne pas penser. Je ne veux plus rien savoir. Ni qui je suis, ni ce que j’aime, ni ce qui m’entoure. Les souvenirs ne servent que la mélancolie. Je ne veux pas être mélancolique. Les mélancoliques rêvant de leur vie passée. Mon voyage je vais le vivre, là tout de suite, il commence. Les paysages sont moches mais ils sont réels. Je m’interroge… Où vais-je. Voilà l’avenir, l’aventure, la vie. Bizarrement les gens autour de moi me paraissent déjà dans ma vie passée.
Je suis absent.
Je me vois déjà revoir cette scène dans une rêverie nostalgique. Je ne veux pas. C’est l’instant même que je dois ressentir. Ne plus penser. Je dois engager la conversation avec les voisins. C’est ça. Mais non, ne pas demander où l’on va. Ne pas gâcher cette appréhension de l’inconnu. Et si je leur parle, je prends le risque de le découvrir. Au détour d’une phrase, d’un mot, ils risquent de me dévoiler quelque indice que je ne veux pas entendre. Ou alors je ferai semblant de ne pas les entendre. Mais je suis reparti, je cogite, j’imagine. Quoiqu’imaginer c’est du futur… Tout est OK. Bon conversation or not ? Décide-toi mon vieux… Finalement je décide de piquer un somme. Apaiser mes pensées, reposer mon esprit, s’économiser pour l’arrivée.
J’espère être chamboulé.
Je n’arrive pas à dormir. Aller au bar. Risquer de tomber dans ce train en marche. Vivre.
Je suis arrivé au wagon bar sans embûche. Je commande une bière. La bière c’est détente, plutôt qu’un café, synonyme du quotidien. On se dope au p’tit noir pour chaque jour tenir. Terminé pour moi.
La serveuse est décontractée, tant mieux. Mon accompagnant a préféré rester dormir, tant pis.
J’engage la discussion avec la serveuse. D’où vient-elle. Pourquoi est-elle heureuse comme ça. Qu’est-ce qui la rend heureuse. Ses réponses ne me convainquent pas. Je ne la comprends pas. Ca m’agace. Je perds mon temps. Je vis mais je n’avance pas. Ou j’avance mais je ne vis pas. Je ne sais pas. Je ne veux pas savoir. Le train avance lui c’est sûr. Vers où. Encore combien de temps.
Cette fois l’envie de savoir est forte. Ai-je le temps de. Dois-je prendre le temps de. J’observe les passagers. Je crois qu’on n’est pas prêts d’arriver. Ils sont trop paisibles, trop accrochés à ce qu’ils font encore. A les voir y en a encore pour 4 heures. J’espère que non. C’est interminable. Ne pas penser dans le train c’est comme prendre un bain et ne pas se détendre. Ou alors il faut être armé : DVD, portables en tout genre, magazines, bouquins, musique… Mais moi je n’ai rien pris. Je ne voulais rien prendre. Rien emporter sauf cet espèce de cerveau inaliénable dont j’aurai aimé qu’il comporte une touche « reset ». But no choice.
Comme si j’allais pouvoir vivre des choses exaltantes dans le train ! Je n’y ai pas pensé. C’est con quand-même. Penser à tout sauf à l’essentiel, à l’immédiat. Je plane à dix mille. Et ça ce n’est même pas nouveau.
Bien des heures plus tard. L’enfer le vrai c’est maintenant. Chaleur à faire fondre une braise. Je ne sais pas vraiment où je suis.
Ce que je sais c’est qu’on y parle une langue latine. Espagnol, portugais, peut-être même de l’italien. J’ai toujours été nul en langues. J’m’en fous à vrai dire. Je n’ai jamais voyagé. On s’en fout aussi.
J’ai réussi à me dégoter un hôtel qui a l’air assez propre mais bon marché.
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